lundi 9 février 2015

Faire face au pire...



On n’apprend pas tout à l’IFSI, il ne faut pas se leurrer. Et encore, j'ai eu la chance d’être dans le programme comprenant 1 an de formation avec des mises en situation notées...

J’étais fraîchement diplômée, jeune (la vingtaine) et un peu naïve sûrement...

J'ai débuté par quelques remplacements dans un long séjour mais je me suis vraiment plongée dans le grand bain 6 mois après lors d'un CDD dans une maison de retraite. Avec mise en stage à la clé si je donnais satisfaction.

Pendant cette période j'ai continué à apprendre sur mon métier, cherché à me perfectionner, prendre quelques astuces de mes collègues...Certes j'étais diplômée, certes j'étais une aide-soignante sur le papier mais peut-on être bon dès le début sans aucune expérience ?

Ok j'avais les gestes, la technique mais pas l'organisation, la capacité d'adaptation et la force de gérer les émotions nouvelles...

Je me rappelle toujours la première fois que j'ai dû affronter la mort.

Pendant l'été j'ai voulu faire quelques nuits, alors que j'étais de jour, parce que je voulais comprendre comment se passaient les nuits, toute expérience est bonne à prendre.

Mais je n'étais pas prête à vivre ce qu'il allait m'arriver...
Et personne n’avait jugé bon de m’y préparer.
6h du matin, on approchait de la fin du dernier tour, en entrant dans la chambre de Mme C, j’ai su que quelque chose n’allait pas. Genre vraiment pas. Mon cœur s’est mis à battre la chamade et pourtant ni ma collègue ni moi ne nous sommes précipitées. Comme si nous savions déjà, qu’il n’y avait plus rien à faire. C’était la première fois et pourtant j’ai su tout de suite. La porte s’est ouverte sur l’inconnu le plus total. Je ne savais pas quoi faire, pas où me mettre. Et pourtant, aucun sentiment d’urgence.

Mme C. était allongée, pâle, le teint gris, la peau blanche, presque translucide. Les mains et les joues recouvertes de trainées bleues comme je n’en avais jamais vu. Mais pas morbides. Presque belles. Nous étions arrêtées sur le seuil de la porte. Il y avait quelque chose d’étrange dans cette pièce, bizarrement, le silence ici, pourtant le même que dans les chambres voisines, semblait plus doux, plus calme. Mes battements de cœur se sont apaisés. Elle irradiait la sérénité et nous imposait le respect.

Ma collègue s’est avancée doucement, a pris le pouls, vérifié deux fois...
Mais le verdict était sans appel. Rien.

Le fils de la patiente avait émis le souhait d’être prévenu a n'importe quelle heure en cas de soucis.
C’était mon premier décès, j'étais trop jeune, je ne supportais pas l’idée d’annoncer en plus la mauvaise nouvelle par téléphone alors j'ai laissé ma collègue s'en charger...
Mais voilà, comme elle devait récupérer les coordonnées dans le bureau, elle m’a demandé si ça ne me dérangeait pas de commencer la toilette mortuaire toute seule.
J’ai dit oui. Je venais d’arriver, je ne voulais pas passer pour une dégonflée, je voulais prouver qu’on pouvait compter sur moi dans les situations difficiles.

Me voilà seule, dans une chambre sombre avec ma première patiente décédée, un corps sans vie...
Comment on fait une toilette mortuaire au juste ? J'ai appris à faire des toilettes, entre les stages et mes 6 petits mois d’expérience, mais sur une personne décédée, jamais, on n’apprend pas ça à l’école...

Je tremble un peu, je me lance, pas fière, dans un premier temps, je prépare mon matériel...
Je remplis une bassine d'eau bien chaude (d’instinct, j’avais besoin – envie ?, de prendre soin d’elle aussi bien que n’importe qui), gants, serviettes, une protection (ma collègue m'avait annoncé que des selles pouvaient sortir) et une chemise d'hôpital (en attendant que son fils apporte des vêtements adéquats).

Je reprends un peu confiance en moi, j’attaque la toilette, je m'en sors pas trop mal, enfin je crois, mais d'un coup le corps produit un bruit bizarre, j’arrête tout...
Mon cœur bat a dix mille, j'observe ma patiente qui est toujours inerte et je me rappelle m'avoir dit dans ma tête: «T'es vraiment conne ma pauvre fille, la patiente est morte...Morte ! T'as pas à flipper, on n’est pas dans un film d'horreur, ce n'est pas un zombie qui revient parmi les morts, mais ta patiente alors Flippe pas bordel !»
« Ma patiente ».
La peur s’est envolée. A la place, un profond respect. Je suis repartie dans ma toilette, je n’avais plus peur car c’était Ma patiente.

Soigneusement lavée, séchée, une petite goutte de son eau de Cologne, je l'ai habillée puis coiffée, doucement. Avant de sortir de cette chambre, je l’ai regardée, plein de tendresse dans le regard, je lui ai dit au-revoir en caressant sa joue.

J'ai réussi. Je suis fière de moi, fière du respect que j’ai ressenti, donné pendant mon soin. Le fils de la patiente peut arriver, sa mère est présentable, propre, le visage serein et je trouve ça bien pour son fils. Je suis fière de lui offrir ce dernier cadeau.

Ma collègue revient peu après la fin de la toilette et me demande si ça c'est bien passé. Je lui dis que oui sans hésiter, car malgré ma petite frayeur du début, j'ai apprécié ce moment plein de respect et de tendresse pour Mme C, qui restera gravé dans ma mémoire pour ce qu’elle était avant, mais aussi pour ce moment. Je n’ai même pas relevé le fait qu’elle ait attendu que je termine pour revenir. J’ai aimé être seule avec Mme C. finalement.


Cette première expérience m’a beaucoup fait réfléchir et m’a permis d'avancer. Depuis je suis même volontaire pour chaque toilette mortuaire. Et je suis souvent bien la seule.
La plupart du temps mes collègues ont peur de la mort.

Pas moi. Quand je rentre dans la chambre d’un patient décédé, je n'oublie pas que cette personne a été vivante, qu’elle a vécu, qu’elle a une âme...
Je parle à cette personne, pendant la toilette, avec respect, pas de geste brusque. Je fais la toilette avec beaucoup de douceur, comme si je touchais de la porcelaine qu’il ne faudrait surtout pas casser.

Certains me trouvent bizarre, après tout pourquoi j'aime tant ça ?
J’aime le silence, le calme, le respect qui se dégagent de ces chambres. Pour moi la toilette mortuaire est vraiment dans la continuité du soin pour ces patients qu’on accueillent jusqu’à leur fin. Ces patients même morts sont passés entre nos mains, ont vécu leurs derniers moments avec nous, c’est la moindre des choses de les respecter jusqu’au bout. C'étaient des personnes, elles ont le droit être présentables pour elles, mais aussi pour leurs familles.

Je ne vais pas vous mentir, la première fois est toujours un peu bizarre et on n’est pas toujours à l'aise, mais si on ne se lance pas, jamais on ne le sera.

C'est juste du respect pour eux et pour leur famille, on ne peut qu'être fiers si difficile que ce soit.

Et si vous n’y arrivez pas, imaginez que c'est un de vos proches, votre grand-mère par exemple, vous aimeriez la voir dans une chambre froide, sans vie mais surtout pas coiffée, pas lavée bref pas présentable ? Ou propre et coiffée mais par quelqu’un qui l’a traitée comme un objet ?

On parle beaucoup d'humanitude, on a raison, mais elle doit être là jusqu'au bout...
Avoir du respect jusque dans la mort c’est aussi ça l’humanitude.




1 commentaire:

  1. Bonjour,
    moi aussi j'aime bien les toilettes mortuaires.Et pour des raisons similaires: c'est la derniere chose que je peux faire pour cette personne, alors autant le faire bien.
    Je ne suis pas du tout croyante
    Je ne pense pas que nous ayons une ame qui subsiste a notre mort.Mais ce corps a ete une personne, et il est maintenant si vulnerable, totalement sans défenses comme un nouveau né.Et face a moi qui le toilette, il est tout aussi nu.
    Je lui dois donc respect et protection.Je ne le brutaliserais pas, et je mettrais autant de douceur dans mon soin que s'il etait vivant; meme souvent bien plus.
    J'ai toujours ete à l'aise avec ça, et le tout premier mort(que j'ai vu et ) a qui j'ai fait une toilette, n'etait autre que ma propre grand mere, decedee a la maison de mes parents d'un cancer.J'avais 18ans,et avec ma soeur nous nous sommes occupées d'elle.
    Depuis j'ai vu de beaux morts, mais aussi des moches, portant encore les stigmates de la souffrance sur eux, leur visage.Certains se degradent plus vite que d'autres.mais j'ai toujours la meme empathie pour eux.depuis deux ans je travaille en service de remplacement mobile sur une clinique.j'interviens dans tout les services, de façon ponctuelle.Je ne m'occupe donc plus que de corps inconnus. E t pourtant j'ai toujours la meme envie de faire bien, de les accompagner avec douceur et respect pour cette derniere toilette.
    je suis a tel point a l'aise avec ces derniers soins que j'en viens meme a me renseigner pour une eventuelle conversion dans les metiers "de la mort".

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