On n’apprend pas tout à l’IFSI, il
ne faut pas se leurrer. Et encore, j'ai eu la chance d’être dans
le programme comprenant 1 an de formation avec des mises en situation
notées...
J’étais fraîchement diplômée,
jeune (la vingtaine) et un peu naïve sûrement...
J'ai débuté par quelques
remplacements dans un long séjour mais je me suis vraiment plongée
dans le grand bain 6 mois après lors d'un CDD dans une maison de
retraite. Avec mise en stage à la clé si je donnais satisfaction.
Pendant cette période j'ai continué à
apprendre sur mon métier, cherché à me perfectionner, prendre
quelques astuces de mes collègues...Certes j'étais diplômée,
certes j'étais une aide-soignante sur le papier mais peut-on être
bon dès le début sans aucune expérience ?
Ok j'avais les gestes, la technique
mais pas l'organisation, la capacité d'adaptation et la force de
gérer les émotions nouvelles...
Je me rappelle toujours la première
fois que j'ai dû affronter la mort.
Pendant l'été j'ai voulu faire
quelques nuits, alors que j'étais de jour, parce que je voulais
comprendre comment se passaient les nuits, toute expérience est
bonne à prendre.
Mais je n'étais pas prête à vivre ce
qu'il allait m'arriver...
Et personne n’avait jugé bon de m’y
préparer.
6h du matin, on approchait de la fin du
dernier tour, en entrant dans la chambre de Mme C, j’ai su que
quelque chose n’allait pas. Genre vraiment pas. Mon cœur s’est
mis à battre la chamade et pourtant ni ma collègue ni moi ne nous
sommes précipitées. Comme si nous savions déjà, qu’il n’y
avait plus rien à faire. C’était la première fois et pourtant
j’ai su tout de suite. La porte s’est ouverte sur l’inconnu le
plus total. Je ne savais pas quoi faire, pas où me mettre. Et
pourtant, aucun sentiment d’urgence.
Mme C. était allongée, pâle, le
teint gris, la peau blanche, presque translucide. Les mains et les
joues recouvertes de trainées bleues comme je n’en avais jamais
vu. Mais pas morbides. Presque belles. Nous étions arrêtées sur le
seuil de la porte. Il y avait quelque chose d’étrange dans cette
pièce, bizarrement, le silence ici, pourtant le même que dans les
chambres voisines, semblait plus doux, plus calme. Mes battements de
cœur se sont apaisés. Elle irradiait la sérénité et nous
imposait le respect.
Ma collègue s’est avancée
doucement, a pris le pouls, vérifié deux fois...
Mais le verdict était sans appel.
Rien.
Le fils de la patiente avait émis le
souhait d’être prévenu a n'importe quelle heure en cas de soucis.
C’était mon premier décès, j'étais
trop jeune, je ne supportais pas l’idée d’annoncer en plus la
mauvaise nouvelle par téléphone alors j'ai laissé ma collègue
s'en charger...
Mais voilà, comme elle devait
récupérer les coordonnées dans le bureau, elle m’a demandé si
ça ne me dérangeait pas de commencer la toilette mortuaire toute
seule.
J’ai dit oui. Je venais d’arriver,
je ne voulais pas passer pour une dégonflée, je voulais prouver
qu’on pouvait compter sur moi dans les situations difficiles.
Me voilà seule, dans une chambre
sombre avec ma première patiente décédée, un corps sans vie...
Comment on fait une toilette mortuaire
au juste ? J'ai appris à faire des toilettes, entre les stages
et mes 6 petits mois d’expérience, mais sur une personne décédée,
jamais, on n’apprend pas ça à l’école...
Je tremble un peu, je me lance, pas
fière, dans un premier temps, je prépare mon matériel...
Je remplis une bassine d'eau bien
chaude (d’instinct, j’avais besoin – envie ?, de prendre
soin d’elle aussi bien que n’importe qui), gants, serviettes, une
protection (ma collègue m'avait annoncé que des selles pouvaient
sortir) et une chemise d'hôpital (en attendant que son fils apporte
des vêtements adéquats).
Je reprends un peu confiance en moi,
j’attaque la toilette, je m'en sors pas trop mal, enfin je crois,
mais d'un coup le corps produit un bruit bizarre, j’arrête tout...
Mon cœur bat a dix mille, j'observe ma
patiente qui est toujours inerte et je me rappelle m'avoir dit dans
ma tête: «T'es vraiment conne ma pauvre fille, la patiente est
morte...Morte ! T'as pas à flipper, on n’est pas dans un film
d'horreur, ce n'est pas un zombie qui revient parmi les morts, mais
ta patiente alors Flippe pas bordel !»
« Ma patiente ».
La peur s’est envolée. A la place,
un profond respect. Je suis repartie dans ma toilette, je n’avais
plus peur car c’était Ma patiente.
Soigneusement lavée, séchée, une
petite goutte de son eau de Cologne, je l'ai habillée puis coiffée,
doucement. Avant de sortir de cette chambre, je l’ai regardée,
plein de tendresse dans le regard, je lui ai dit au-revoir en
caressant sa joue.
J'ai réussi. Je suis fière de moi,
fière du respect que j’ai ressenti, donné pendant mon soin. Le
fils de la patiente peut arriver, sa mère est présentable, propre,
le visage serein et je trouve ça bien pour son fils. Je suis fière
de lui offrir ce dernier cadeau.
Ma collègue revient peu après la fin
de la toilette et me demande si ça c'est bien passé. Je lui dis que
oui sans hésiter, car malgré ma petite frayeur du début, j'ai
apprécié ce moment plein de respect et de tendresse pour Mme C,
qui restera gravé dans ma mémoire pour ce qu’elle était avant,
mais aussi pour ce moment. Je n’ai même pas relevé le fait
qu’elle ait attendu que je termine pour revenir. J’ai aimé être
seule avec Mme C. finalement.
Cette première expérience m’a
beaucoup fait réfléchir et m’a permis d'avancer. Depuis je suis
même volontaire pour chaque toilette mortuaire. Et je suis souvent
bien la seule.
La plupart du temps mes collègues ont
peur de la mort.
Pas moi. Quand je rentre dans la
chambre d’un patient décédé, je n'oublie pas que cette personne
a été vivante, qu’elle a vécu, qu’elle a une âme...
Je parle à cette personne, pendant la
toilette, avec respect, pas de geste brusque. Je fais la toilette
avec beaucoup de douceur, comme si je touchais de la porcelaine qu’il
ne faudrait surtout pas casser.
Certains me trouvent bizarre, après
tout pourquoi j'aime tant ça ?
J’aime le silence, le calme, le
respect qui se dégagent de ces chambres. Pour moi la toilette
mortuaire est vraiment dans la continuité du soin pour ces patients
qu’on accueillent jusqu’à leur fin. Ces patients même morts
sont passés entre nos mains, ont vécu leurs derniers moments avec
nous, c’est la moindre des choses de les respecter jusqu’au bout.
C'étaient des personnes, elles ont le droit être présentables pour
elles, mais aussi pour leurs familles.
Je ne vais pas vous mentir, la première
fois est toujours un peu bizarre et on n’est pas toujours à
l'aise, mais si on ne se lance pas, jamais on ne le sera.
C'est juste du respect pour eux et pour
leur famille, on ne peut qu'être fiers si difficile que ce soit.
Et si vous n’y arrivez pas, imaginez
que c'est un de vos proches, votre grand-mère par exemple, vous
aimeriez la voir dans une chambre froide, sans vie mais surtout pas
coiffée, pas lavée bref pas présentable ? Ou propre et
coiffée mais par quelqu’un qui l’a traitée comme un objet ?
On parle beaucoup d'humanitude, on a
raison, mais elle doit être là jusqu'au bout...
Avoir du respect jusque dans la mort
c’est aussi ça l’humanitude.